Des bienfaits confirmés par la science
De: Libération • Publié le: 21 mars 2025
De récentes études scientifiques viennent confirmer une immuable intuition : le chant des merles, pinsons ou mésanges a un effet bénéfique sur le bien-être et la santé mentale.
Par Coralie Schaub
Considérez la vie ailée, écoutez-la tristiller, gringotter ou dideluler, et vous vous sentirez illico mieux. Dans un ouvrage enchanteur, Eloge des oiseaux de passage (Editions des Equateurs, 2023), l’ornithologue Jean-Noël Rieffel confiait combien le chant du loriot agit sur lui tel un «baume sonore». Comment celui du merle, grave, flûté, enrichi de longues improvisations et célébré par la ballade Blackbird, des Beatles, lui procure la même émotion que l’écoute du mythique Köln Concert, de Keith Jarrett. Autant de sensations que nous ressentons tous plus ou moins, et que la science documente de plus en plus.
Une méta-analyse parue en 2021 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences recense les preuves des bienfaits pour la santé des paysages sonores naturels. Vocalisations des oiseaux, concert de cigales, bruit de l’eau, murmure du vent dans les feuilles… Les résultats «confirment que les sons naturels améliorent la santé, augmentent les affects positifs et réduisent le stress», écrivent les auteurs. Ceux émis par les oiseaux peuvent même «restaurer l’attention, améliorer l’humeur», remarquent-ils. A contrario, les sons anthropiques (y compris le bruit du trafic routier et aérien) contribuent à «divers problèmes de santé, la perte auditive, une augmentation de l’incidence de l’hypertension et des maladies cardiovasculaires, ainsi qu’une forte gêne». La majorité des études examinées dans cette revue de la littérature scientifique «ont été réalisées en laboratoire ; les données expérimentales sur le terrain étaient limitées», notent toutefois les auteurs.
Ceci dit des travaux menés dans un parc national du Colorado, aux Etats-Unis, et dévoilés fin 2020 dans la revue britannique de recherche scientifique Proceedings of the Royal Society, prouvent qu’au grand air aussi, les chansonnettes aviaires nous font de l’effet. Les chercheurs ont utilisé un «chœur de chants d’oiseaux fantômes» composé de haut-parleurs cachés le long de deux sentiers, histoire d’étudier le bien-être autodéclaré des randonneurs. Résultat : ceux exposés au chœur fantôme «ont signalé des niveaux plus élevés d’effets réparateurs» que les autres.
Bien-être mental. L’impact positif des mélodies d’oiseaux sur la santé mentale a aussi été documenté par deux autres travaux publiés en 2022 dans la revue Scientific Reports. Les premiers, menés par des chercheurs de l’institut Max-Planck de Berlin et du centre hospitalier universitaire de Hambourg-Eppendorf, démontrent que le chant des oiseaux soulage l’anxiété et réduit les pensées irrationnelles et les perceptions paranoïaques passagères chez les personnes en bonne santé. Selon la deuxième étude, menée par l’institut de psychiatrie, de psychologie et de neurosciences du King’s College de Londres, regarder ou écouter des oiseaux est associé à une amélioration du bien-être mental pouvant durer jusqu’à huit heures, tant chez les personnes en bonne santé que chez celles souffrant de dépression. Autre donnée intéressante : ce pouvoir bienfaisant s’ajoute à celui de la présence d’arbres, de plantes ou de cours d’eau. Bref, Homo sapiens se sent d’autant mieux qu’il est bercé par les grives, rossignols ou rouges-gorges. Et quand il perd l’audition, leurs ballades lui manquent.
«Nous avons constaté des réactions émotionnelles positives de la part des personnes qui ont pu réécouter les sons de la nature grâce à des prothèses auditives, comme une forme de réveil», rapporte le psycho-acousticien Christian Lorenzi, chercheur à l’ENS. L’exposition aux paysages sonores naturels, dont les chants d’oiseaux, «produit un effet de ressourcement via le système nerveux parasympathique, qui, quand il est enclenché, vous met en état de "repos digestion". C’est désormais bien documenté, en tout cas dans les pays occidentaux», ajoute-t-il. Et de citer cette formule de l’écrivain britannique malentendant Neil Ansell : «Les sons urbains recrutent mon attention, alors que ceux de la nature l’invitent», la nuance signalant dans le premier cas un effort d’écoute, une fatigue, et, dans le second, une sollicitation plaisante. Selon l’étude allemande citée plus haut, les vertus des ritournelles d’oiseaux s’expliquent aussi par le fait qu’elles signalent «un environnement naturel intact», calme, sûr, en un mot : accueillant.
«Déconnexion». Si le chant des oiseaux est généralement jugé agréable, ajoutent les auteurs de l’expérience réalisée en plein air dans le Colorado, c’est «peut-être en raison de son omniprésence tout au long de l’évolution humaine». Attention, avertissent toutefois ces derniers : «Poussés à l’extrême, nos résultats pourraient justifier le remplacement d’expériences réelles dans la nature par des enregistrements, ce qui pourrait accentuer encore la déconnexion entre l’homme et la nature et mettre à rude épreuve les efforts déjà difficiles de conservation de l’environnement.» Et même si les imitations de stimuli naturels abondent, comme la diffusion du murmure d’un ruisseau dans les restaurants et de gazouillis dans les aéroports, «elles ne parviennent probablement pas à offrir le même bénéfice que la riche expérience multisensorielle d’être dans la nature».
A propos de bénéfices, une étude menée dans 26 pays européens et publiée dans la revue transdisciplinaire Ecological Economics a établi en 2021 que «la richesse en espèces d’oiseaux est positivement liée à la satisfaction de vie en Europe, avec un effet comparable au revenu». Ce qui fait le bonheur, ce ne sont pas tant les espèces sonnantes et trébuchantes que celles volantes et chantantes.