Equithérapie : «Quand ils sont à cheval, le handicap devient moins visible, et ils se sentent un peu plus comme les autres»
De: Libération • Publié le: 15 mai 2025
Pouvant jouer un rôle psychique important en complément d’un parcours de soins plus classique, la pratique souffre d’un manque de reconnaissance. Au bois de Boulogne, «Libé» a assisté au déroulement d’une séance avec trois cavaliers.
Par Laura Berthuin
Il est 15h30, ce lundi, quand on franchit l’arche flanquée de l’inscription «Centre hippique du Touring Club de France», en lisière du bois de Boulogne. A peine arrivée que l’odeur des écuries, un mélange de foin, de cuir et de crottin, assaille les narines. «Sois bien concentrée et n’oublie pas de leur demander de te prêter des bottes», glisse Sabine, restée au volant de sa voiture, à sa fille. Mais Jade, 20 ans, est déjà ailleurs. Elle file d’un pas décidé vers l’écurie, le regard fixé sur un poney blanc aux taches rousses. «Regarde, c’est Indien», lance-t-elle en souriant, le doigt tendu vers l’animal.
Depuis près de cinq ans, Jade pratique l’équithérapie. En situation de handicap depuis la naissance, elle a un retard de croissance qui affecte une partie de ses capacités cognitives. Tous les lundis, elle retrouve Indien, son fidèle compagnon. A ses côtés, elle travaille sa concentration et son autonomie, tout en tissant un véritable lien avec l’animal. Avec elle, Maguelonne, 31 ans, atteinte de trisomie 21, et Quentin, 33 ans, handicapé moteur et mental, partagent ces séances. «Jade, tu viens, que je t’aide à monter sur le poney», intime Virginie, leur équithérapeute. Elle place un escabeau aux pieds d’Indien et tient les rênes pendant que Jade grimpe sur le cheval. Puis, elle répète la même gestuelle pour les deux autres participants, dans une mécanique bien rodée. La séance peut commencer.
Les trois cavaliers engagent leurs chevaux dans des tours de manège, en suivant les exercices dictés par Virginie. «On tient les rênes dans une seule main et on fait de grands ronds avec le bras gauche», explique-t-elle. Au programme du jour : tours de manège et exercices de motricité sur le cheval pour développer une plus grande autonomie dans leurs gestes au quotidien. Jade et Maguelonne montent à cru – sans utiliser de selle. «En étant en contact direct avec la peau du poney, elles ressentent plus de sensibilité dans les jambes, et ça réduit les mouvements parasites», explique Virginie. Et d’ajouter : «Il y a une véritable osmose qui se crée avec l’animal : elles sont plus apaisées et ça se ressent dans leur posture.»
Relation tripartite
Avec un cheval ou un poney, l’équithérapie propose un complément aux pratiques de soins plus classiques. «Cette approche médiatisée par le cheval se joue au niveau psychique parce qu’elle ne relève pas de la médecine tel que défini légalement», précise Nicolas Emond, psychologue, équithérapeute et dirigeant de l’Institut de formation en équithérapie (Ifeq), une des trois écoles de formation dédiées à cette pratique.
L’équithérapie repose sur une relation tripartite, dans laquelle le cheval joue le rôle de médiateur entre le patient et le praticien. «Ce sont des animaux sensibles qui traduisent des émotions à travers leur comportement. Ça peut constituer une source de motivation pour certains publics, qui vont s'impliquer davantage», poursuit le directeur de l’institut.
Cette technique puise ses racines dans l’Antiquité, où l’on prescrivait déjà l’équitation à certains malades. Mais la pratique est véritablement popularisée par Lis Hartel, une Danoise paralysée des jambes après avoir contracté une poliomyélite et qui, aidée notamment par la rééducation à cheval, remporte deux médailles d’argent en équitation (dressage) aux Jeux olympiques de 1952 et 1956. En France, la discipline se développe dans les années 1970, portée par la psychomotricienne Renée de Lubersac, pionnière dans ce domaine.
Aujourd’hui, la pratique s’adresse à un public très large : «Des patients souffrant de troubles mentaux ou moteurs aux personnes en rémission de cancer, en passant par ceux qui traversent simplement une période difficile sans pathologie avérée», souligne Elsa Nello, équithérapeute indépendante à Marseille.
Certaines personnalités s’épanouissent
Reste que la pratique souffre d’un manque de reconnaissance, faute de cadre réglementaire. Il est donc difficile d’obtenir des chiffres précis. «On a à peu près 600 praticiens en France et, en termes de patients, on est autour de 30 000 par an. Mais on n’a pas de possibilité de vraiment calculer», estime Nicolas Emond. Pour autant, «beaucoup se disent équithérapeutes, mais peu ont suivi une véritable formation. Il n’existe que trois écoles sérieuses en France, avec des critères bien précis, met en garde Elsa Nello. Il faut être vigilant.»
Ce qui est certain, c’est que l’équithérapie permet aux cavaliers de créer un lien profond avec l’animal. A travers des moments de partage et de travail, Jade et Indien ont développé une véritable complicité. «Arrête de faire des bêtises Indien», réprimande Jade en éclatant de rire alors que ce dernier ne cesse de lui donner des coups de museau dès qu’elle a le dos tourné.
Au contact du cheval, certaines personnalités s’épanouissent. «Quand ils sont à cheval, le handicap devient moins visible, et ils se sentent un peu plus comme les autres», observe Virginie, tout en gardant un œil sur les trois cavaliers. Un constat que partage Sabine, la mère de Jade. Si elle avait d'abord cherché une activité de bien-être pour sa fille, elle a rapidement perçu bien plus que cela : «L'équithérapie lui offre une activité valorisante, qui développe son autonomie, son sens des responsabilités. Aujourd'hui, elle a gagné en confiance et s'occupe seule de son cheval.»
Alors que le cours touche à sa fin, les trois cavaliers rejoignent calmement le centre du manège pour descendre de leur monture. «On n’oublie pas les caresses avant de partir», leur rappelle Virginie. Jade enlace le cou d’Indien en signe de remerciement et lui souffle à l’oreille, un sourire aux lèvres : «T’as vu, j’ai pas eu peur.»